Perméabilité de Proust
(Suite d'un précédent billet)
Zita avait-elle tout prévu ?
C'est par une cheminée construite avec La fugitive que Samantha parvint à s'échapper de sa prison. Car la pluie, oui mesdames et messieurs, la pluie avait réussi à infiltrer la maison de Zita, Brandon et Samantha - maison dont je rappelle aux impétrants qui n'apprennent pas mes billets par coeur pour se les réciter nuitamment que ses murs, ses tourelles et ses charpentes élancées ne sont faites que de tomes de la Recherche du Temps Perdu. Enfin, n'étaient faites car une pluie battante infiltrait page après page chacune des briques de la maison, laquelle commençait à ressembler davantage à un vase Art Nouveau qu'à la solide demeure victorienne initiale, et plus à une nouille en liquéfaction de Guimard qu'au château-bibliothèque conçu par Zita la langouste architecte.
- Et Brandon ! s'écria Samantha, éperdue, une fois qu'elle se fut extraite d'un amas de livres épanchés les uns sur les autres.
Alors, saisissant une pile de Jeunes filles en fleurs et son courage à deux mains, elle rentra dans la maison en train de s'effondrer. Guidée par son instinct, elle se dirigea Du côté des chez Swann et trouva... Alors là, mon âme pure et ma haute stature morale hésitent à vous le dire... Je n'ose pas. Bon allez, je me lance... Samantha trouva Brandon dans un boudoir entièrement tapissé d'exemplaires de, de... de Sodome et Gomorrhe, non mais vraiment, aujourd'hui, y a plus de valeurs, c'est fou, bref, et Brandon... aïe, aïe, aïe, promis je vais me confesser après : Brandon lisait l'intégrale de Tintin en mangeant des carambars. Ca y est, c'est dit, ouf.
- Brandon, astre de mes jours, que vois-je ??? demanda Samantha. Tu lis l'intégrale de Tintin dans l'édition de la Pléïade. Tu sais très bien que la préface de Simone de Beauvoir est beaucoup trop spinoziste et ne respecte pas du tout le côté heideggerien du texte. Tu me déçois. Néanmoins ma charité chrétienne développée à l'excès m'incite et m'invite à t'informer que la maison est en train de s'effondrer, et que si tu ne termines pas ta lecture dans les deux secondes nous allons tous périr étouffés, ce qui serait ballot car je n'ai pas encore goûté la canette en deux services de la Tour d'Argent et je serais au regret de passer de cette vallée de larmes à l'autre monde en étant passée à côté de délices aussi essentielles.
Sur ce, tout le monde s'échappa en courant car l'idée des canettes de la Tour avait mis la compagnie en appétit.
Dehors, le beau temps était à nouveau au rendez-vous. C'est ça, le Temps retrouvé, qu'il faut traduire par The weather retrouved et non pas Time Regained, comme ces intellos qui voudraient absolument qu'ils s'agisse du Temps avec un grand T majuscule, le Temps, le Transcendental, le Temps qui passe et autres bêtises. Non, c'est le temps qu'il fait, la météo, quoi.
Je m'apprêtais à faire part de cette analyse révolutionnaire du titre du tome VII à Zita, qui sortait à l'instant de son cours de cha-cha-cha. Mais le débat des dix-sept candidats du Parti Zoroastriste Béarnais aspirant à l'investiture de leur parti pour en représenter l'éclatante pensée aux prochaines élections allait commencer. Je n'eus donc guère le temps d'étaler sottement ma science ainsi que l'ai la fâcheuse habitude de le faire.
Et voilà, mon histoire est finie.
Si vous trouvez, comme moi, qu'il est dommage que la Recherche ne comporte que sept tomes, vous êtes fait pour lire Proust ; démissionnez de votre job, lisez-le sept jours sur sept et appelez-moi après, on se fera une bouffe. Sinon, que les flammes de l'enfer s'abattent sur votre iguane apprivoisé et que des visions horrifiques de Spinoza en short sur la plage en train de manger des pistaches hantent vos nuits, mécréants.