Imperméabilité de Proust
Brandon, Samantha et la belle langouste Zita ont bâti récemment une nouvelle maison sur l'île merveilleuse de Macumba.
Vous n'ignorez pas que les averses, quoique servies à l'accorte température de 25°, y sont aussi fréquentes que dans le Devonshire au mois d'avril. Aussi notre compère et nos deux commères avaient-ils décidés de se prémunir des assauts du ciel en utilisant un matériau adapté. Après un brainstorming qui faillit coûter son neurone à Brandon, Zita eut l'éclair de génie.
Et je peux vous dire que le résultat est bluffant : une maison entièrement construite avec des tomes d'A la Recherche du Temps Perdu, on n'en croise pas tous les jours.
Au moment où j'arrivais, Dieu réitérait ses diluviennes prouesses et pas une goutte d'eau, que dis-je ?, pas une molécule d'H20 n'arrivait à percer les premières pages. Il faut dire que Zita avait pris soin de prendre une édition préfacée par un normalien androposé, ce qui parfois repoussait les gouttes d'eau avant même qu'elles se fussent posées sur la couverture.
Quand j'entrais, je ne sus d'abord où aller : le hall se partageait immédiatement en deux longs couloirs, dont les murs et la voûte étaient fait du même opus, sauf qu'à gauche c'était Le côté de chez Swann et à droite Le côté de Guermantes. Les empilements étaient parfaits et les voûtes s'animaient d'élégantes nervures. Cette Zita, quel talent !
Mais que choisir ? C'était l'angoisse.
J'aperçus un jardin où j'allai me reposer quelques instants A l'ombre des jeunes filles en fleur - en effet il avait cessé de pleuvoir. Arborant un chapeau en plastique en forme de grosse marguerite rose, les jeunes filles faisaient une ombre agréable mais, comme elles jouaient à la Game Boy Color, elles faisaient aussi beaucoup de bruit, et je dus partir précipitamment, allant au hasard du côté de Guermantes où je ne tardai pas à tomber sur Samantha qui gémissait derrière les barreaux d'une cellule toute de livres bâtie. La Prisonnière avait donné des idées à Zita.
- Je ne comprends pas, se lamentait Samantha, Zita ne m'appelle plus qu'"Albertine" et elle ne me laisse pas sortir. Que lui ai-je fait ? Enfin, il ne pleut pas dans ma cellule, c'est déjà ça...
Mais dehors, il se remit à pleuvoir. Alors qu'une fois de plus Samantha se cognait à ses barreaux de papier, une goutte d'eau traversa cavalièrement une préface et sembla s'arrêter sur une longue phrase de Combray, au début de Swann. Que se passa-t-il ? Je ne sais... Elle eut un instant d'immobilité interloquée, navire au plus haut de la vague, puis dévala la phrase, la dévala, la dévala, la dévora, glissa entre les pleins et des déliés, se faufila entre les mots ; mais au lieu de se dilapider comme n'importe quelle goutte d'eau traversant n'importe quel paquet de papier, elle semblait se gorger de beauté et chatoyer de nouvelles et plus somptueuses irisations à chaque fois qu'elle franchissait le col d'une subordonnée relative ou celui, plus haut encore, d'une incise ciselée enchassant d'autre images, d'autres métaphores, d'autres poèmes...
Et la goutte tomba sur le dos de ma main.
(à suivre)